Depuis l’adaptation du «Seigneur des anneaux» au cinéma, le nom de son auteur, J. R. R. Tolkien, s’est répandu. Son biopic était devenu incontournable. Un film à découvrir actuellement sur nos écrans.
D’où vient donc J. R. R. Tolkien, l’inventeur de la «Terre du Milieu», cet univers synonyme du plus grand roman de fantasy, «Le Seigneur des anneaux» ? Dome Karukoski, réalisateur finlandais inconnu, signe un très beau biopic sur celui qui fut avant tout un philologue par passion, un homme fidèle en amour et en amitié, mais aussi un vétéran de la Première Guerre mondiale. Toutes ces composantes ont participé à l’écriture de son œuvre. Une histoire à elle seule.
Aux origines de la fantasy
Sans lui, pas de Game of Thrones. Il n’en est pas l’inventeur, mais J. R. R. Tolkien (1892-1973) a gravé dans le marbre la fantasy (auparavant heroic fantasy), avec «Bilbo le Hobbit» (1937) et «Le Seigneur des anneaux» (1954-55) sans lesquels la célèbre série HBO n’existerait pas. Le genre, au carrefour du fantastique et du merveilleux, resté marginal pendant des années, a explosé avec l’adaptation au cinéma de son roman fleuve «Le Seigneur des anneaux» par Peter Jackson (2001-2003). «Game of Thrones», d’abord saga de George R. R. Martin publiée à partir de 1996, puis série TV (2011-2019), en est un dérivé, comme nombre d’autres romans, bandes dessinées ou jeux vidéo.
En racontant l’histoire de Tolkien, Dome Karukoski remonte aux sources des événements qui ont forgé l’imaginaire d’un auteur et une création littéraire unique. A sa publication, un critique écrivait : «Le monde se divisera désormais en deux, ceux qui ont lu Le Seigneur des anneaux et ceux qui ne l’auront pas lu».
Né en 1892, J. R. R Tolkien et son cadet Christopher, très jeunes orphelins, sont placés chez une tutrice de bonne famille de Birmingham. Scolarisé dans une école fréquentée par des élèves de la haute société, Tolkien, d’abord rejeté, se lie d’amitié avec trois camarades, avec lesquels il a créé un groupe indissociable. Il tombe amoureux de sa voisine de palier Edith, mais l’entrée en guerre les sépare. L’expérience sur le front est terrible et tous ne reviendront pas.
Tolkien, survivant, retrouvera Edith, se mariera et aura des enfants. Passionné par les langues et la mythologie nordique, il s’apprête à transposer dans une œuvre littéraire son expérience de la vie, où l’amitié, l’amour, et le basculement de la révolution industrielle dans la guerre vont donner naissance à la Terre du Milieu, le cadre de «Bilbo le Hobbit» et du «Seigneur des anneaux».
Sauron dans les tranchées
Pas évident de transposer à l’écran le processus de création d’un auteur tel que J. R. R. Tolkien. Réalisateur mineur jusqu’à présent, Dome Karukoski atteint son but avec ce biopic classique dans ses fondamentaux, mais qui ne manque pas d’originalité dans sa forme. Le cinéaste suit à la lettre le cheminement de Tolkien depuis sa naissance jusqu’à l’écriture de «Bilbo» dans les années 1930. Mais il passe sans cesse d’une époque à l’autre, selon un rythme syncopé, retrouvant ainsi le style d’un Clint Eastwood dans «Bird», son biopic sur Charlie Parker.
Le cinéaste évite ainsi une chronologie laborieuse, en multipliant les récits, tout en gardant le fil conducteur qu’est Tolkien. Il introduit également des équivalents mythologiques aux événements historiques, comme l’image de dragons pour les lance-flammes sur le front de la Somme de 1914, où celle de Sauron, l’entité maléfique du «Seigneur des anneaux», qui domine le champ de bataille. Les liens d’amitié de «Tolkien» avec ses camarades de Birmingham se retrouveront dans la Communauté de l’anneau, et son amour pour Edith deviendra celui d’Aragorn pour Arwen. D’aucuns trouveront cela simpliste ou didactique, mais ces interprétations ne sont pas sans fondement.
Dome Karukoski réussit un très beau film en s’attaquant à un gros morceau de la littérature, sur lequel on l’attend au tournant. Sa reconstitution de l’époque victorienne est pleine de charme, avec ses décors dominés par les papiers peints de William Morris ou quelques tableaux de Burne Jones ou John W. Waterhouse. Le film s’attarde sur la différence de classes dont pâtit Tolkien dans sa jeunesse, et sur la manière dont certains élèves parvinrent à s’émanciper de ces préjugés.
Les scènes du front de la Somme entremêlent réalisme et fantasme, comme lieu traumatique où se condense l’avènement d’une création littéraire au croisement du vécu, de l’histoire et de l’imagination. Dome Karukoski parvient à traduire le processus de création d’une œuvre, en visualisant la matière dont sont faits les rêves, avec un romanesque achevé.